dimanche 11 avril 2010

Il pleure sur la ville comme il pleut dans mon cœur.



Au moment où le Yorkshire de Mrs Pennyard arrachait férocement la tétine du fils de Mrs Powter, où un pigeon se vit voler son breakfast par un moineau, où Tommy le balayeur finissait de briquer l’immense étendue de carrelage froid et grisâtre de cet immeuble londonien, Steve Smith sortait de l’ascenseur et Big Ben affichait 8h30.

Smith était un jeune cadre en assurances qui menait la vie du jeune cadre en assurances londonien moyen. Costume, chemise, cravate et chaussettes repassées, Smith n’avait vraiment pas le droit à l’erreur.

C’est ce jour là qu’il devait présenter le projet "Future" aux actionnaires, le projet qui allait déterminer la politique de la compagnie. Mais l’enjeux de cette présentation était bien plus important pour Smith : c’était sa dernière chance. Si Steve n’était pas parfait, Mr Grumpy mettrait ses menaces à exécution, autrement dit il l’obligerait à démissionner, pour ne pas avoir à lui payer les indemnités de licenciement, et ruinerais sa réputation de sorte que les assurances le mettent toutes sur liste noire.

L’avenir, donc la vie, de Steve Smith était entre les mains du 10, son autobus quotidien de 8h45 à King’s Cross.

Smith marchait vite dans les rues à moitié vide de la ville. Le soleil de juillet le faisait transpirer, à moins que ce ne soit autre chose. Et s’il ratait le bus ? Ce moment de réflexion lui valut de heurter violemment son genoux contre le rebord d’un volet ouvert sur la rue. Son allure ralentit d’un coup tandis qu’il serrait les dents à s’en faire éclater les gencives. Respirant à pleins poumons par le nez, Smith avançait toujours.

Sa démarche dut intriguer le policeman qui le dévisageât, lisant la souffrance dans ses yeux qui le fixaient, mais qui ne fit pas un geste pour l’aider. Smith repris son chemin à travers le carrefour. Il n’était plus qu’a une centaine de yards.

Soudain, le 10 le doublât. Les yeux de Smith s’écarquillèrent monumentalement et, croyez le ou non, il courut. L’énergie du désespoir l’envahissait, la douleur autour de sa rotule le torturait atrocement au point le lui faire tourner la tête. Le bus c’était arrêté à King Cross et il ne restait à Smith que quelques pas à faire. Chancelant et titubant, Steve Smith arriva à se glisser dans l’entrebâillement de la porte et à s’effondrer à l’intérieur du 10.

Il ne les vit pas mais il sentit tous les regards braqués sur lui. Il se releva, seul puisque personne n’avait dénié se lever ou se baisser, suivant si la personne était assise ou debout, pour l’aider.

Une fois debout, il ne fut pas surpris de constater que personne ne veuille lui laisser une place au rez-de-chaussée. Smith entreprit alors de monter la dizaine de marches menant à l’étage. Un pas sur deux, on pouvait l’entendre gémir. Dernière marche. Fin du calvaire. Douze passagers pour plus du double de sièges. Smith se trouva une place côté fenêtre, côté trottoir. Le bus roulait. En faisant le tour du Tavistock Square, Steve observait la statue du Mahatmah Gandhi, c’était la première fois qu’il la voyait de l’étage. Elle avait une autre perspective.

Enfin, c’est le Cerisier, planté en 1967 sur Tavistock Square en hommage aux victimes d’Hiroshima qui attira le regard de Smith. Qu’ont du ressentir ces gens ? songea-t-il.

Il ne le sût que trop tôt. On était le 7 juillet 2005, 8h47 lorsque le premier étage de l’autobus londonien explosa.

G. et T.

1 commentaire:

Léa a dit…

Géniale.